Le 14 juin une lecture a eu lieu à l'atelier...

Publié le par Les Machines

Sylvie : Entre

Pissenlits / gouttières

Pétales / caniveaux

Menthe / fissure dans le mur

Feuilles d’olivier /plot en béton

Mauvaises herbes /dallage ciment

Tomates cerises /volet vénitien

Marron / bitume

Feuille d’acanthe / terre plein

Mousse banc public

Cucurbitacée / maison années 30

Ronces / chemin de fer

Coquelicots / murets délabrés

Pavot noir /vitrine

Lierre / horodateur

Blé / pavé

Palmier / chantier

Fraisier / grillage

Erable rouge / stade de foot

Baobab / hôtel de ville

Ortie / sens interdit

Pâquerettes / enseignes

Bleuets / néons

Muguet / feux tricolores

Platane / abris bus

Silence / écho

 

Quand 1 – En retard – Fabienne

Quand les voitures se resserrent et brusquement ralentissent, quand il n’est d’échappée nulle part avant longtemps, quand la grande aiguille de la montre sur le tableau de bord a dépassé la verticale en tombant vers la droite, quand la pluie tombe et ne promet aucun arrangement, quand la voiture AREA vide clignote sur le bord de l’autoroute, quand c’est juste le jour où il aurait été préférable que cela soit autrement, quand le café qui n’a pu être bu pèse terriblement dans le corps en manque, quand les infos à la radio laissent place à l’horoscope, puis à la chanson du moment, quand tous ces signes là, affluent et s’entassent, alors le doute n’est plus : la journée démarre, et elle, sera encore en retard.

 

– Le son des langues inconnues – Camille

J’avais franchi les portes de l’aéroport, tard dans la soirée. Ce fut très court la première fois : des portes de l’aéroport jusqu’au portes de la voiture. On hâtait le pas, et tout en marchant vite nous regardions en tout sens, essayant de suivre le flot des klaxons, des bruits de la ville nocturne et la mélodie de la langue nouvelle. Langue criée de l’autre côté du goudron, intrusive toute proche de mon épaule, suivant notre passage de blanche sur la terre rouge. Puis les portes claquées offraient à présent le silence, la liberté de regarder, sans bruit, aucun, comme devant un théâtre muet, dont les décors sont venus de l’invraisemblable et de l’émerveillement. Dans la tête, des paroles entrechoquées entres elles avec excitation mélangeaient les mots et finissaient par noter une chose, et une seule, l’effarement. Et par la même liberté qui nous avait offert le silence deux minutes plus tôt, je tâtonnais à la recherche de l’outil qui me permettrait d’ouvrir, d’entrouvrir la fenêtre : entendre et respirer. Et j’entendais. la voiture s’arrêtait au feu rouge, alors qu’un groupe d’enfant s’approchait du véhicule en se bousculant. A cet instant, pour la première fois de ma vie, je devenais une Toubabou. Tou ba bou est devenu un mot compris, presque familier. Mais les autres, tous les autres ? Tout ce qui constitue la langue, les cris, les révoltes, les tristesses, les bêtises, les prières, les espérances et les désespoirs, les idéaux et les bas. Avec quels mots, quelle intonation, quelle sueur, quelle joie ? Je me concentrais sur la mélodie, la frontière, la berceuse, je regardais les hommes parlaient entre eux, et minuscule sur le tabouret que l’homme avait chargé à sa fiancée de m’apporter, j’imaginais ce que se donnaient leurs mots. Ils parlaient affaire et moi, comme une oubliée à côté. J’étais en train de disparaître A chaque instant où j’écoutais la mélodie, la frontière, la berceuse. J’ai tout oublié  de cette langue, des seules consonances que j’ai pu adopter. J’ai tout oublié de cette langue, de la couleur des cris et des rires. Lorsque j’ai osé chanter cette langue et ce que des hommes ont voulu me dire d’elle, on a crut cette langue slave. J’ai tout oublié de cette langue Je garde le souvenir de sa présence sur la mienne. Non inquiétante, une mélodie, une frontière, une voix, une berceuse. Lorsque j’étais fatiguée d’être présente là où je ne comprenais rien, Je m’amusais à écouter leurs raclements de gorge, les ralentissements, les accélérations, les cris de surprises marquées entre chaque début et chaque fin, pendant le temps suspendu où la mélodie cessait, alors le silence installé me devenait entendu, et compris. Les engueulades étaient sans aucun doute les meilleurs. Alors qu’ils baignaient dans l’hostilité de leurs objections, moi, sur le tabouret, je regardais un point fixe, me concentrais dessus. Elle devenait une valse, une tirade, une ironie, une mélodie, une frontière, une voix, une vie, une berceuse.

Quand 2 – La force de rester– Sylvie

Quand le matin, on colle à la nuit, les yeux brumeux, le corps moelleux, qu’on étire ses pensées hors de la ouate, hors de l’intimité, qu’après s’être faufilé dans le jour, on s’est élevé vers la verticalité et que cet effort ne s’est fait qu’à la force du corps contre notre volonté, quand les minutes se mettent à raccourcir, qu’elles nous forcent à réagir, quand le rythme s’accélère si vite qu’on ne peut faire marche arrière sans mentir, quand le voyant de la cafetière est déjà rouge, le dentifrice sur la brosse à dent et quand alors, malgré le cheminement de la grande aiguille sur le cadran, on garde ses chaussons, on ressert le cordon de son pyjama, on laisse couler le café pour plus tard, on décide que cette fois là, la volonté serra plus forte que le corps, on se retrouve alors sous l’édredon, avec des membres qui se détendent comme la mer qui se retire après une tempête, quand on sent rassemblé dans cette seule décision tout le pouvoir de décision dont on était capable, quand on reconnaît, en accordant à cette constatation plus d’importance qu’à l’ordinaire, que l’on a en soi le pouvoir, plus encore que le besoin, de provoquer et de supporter le changement le plus soudain et qu’on se défile du quotidien avec énergie, alors on est ce matin-là, tout à fait sorti de son cadre, lequel disparaît momentanément, honteux d’être là, sûr de soi, on plonge avec vitalité dans la ouate et l’intimité.

 

– " C’est encore loin la mer ". – Camille

J’avais décidé de partir à la mer, merveille couchée sous une ligne droite et infinie, et finissant de ravaler mes rancœurs, ici et maintenant, je regarde la petite fille qui joue sur la banquette en face de la mienne, toute proche de mes envies de large, parce que j’ai largement envi de partir, après avoir discuté autours des terrasses des cafés, confié, conté, additionné, opposé, supplié les envies de larges, qui arrivent mais ne repartent pas, " du moins pas comme ça ! ", me disait mon ami Paul avant qu’il parte pour l’autre vie, celle que tous ont critiqué avant qu’il ose le pas, et ce pas que tout le monde a fini par admirer comme une vérité humble et légère, c’est moi qui le franchis aujourd’hui, ici et maintenant devant la petite fille qui colle sa joue à la vitre et fait des grimaces aux paysages courants, comme moi j’ai pu courir dans les allées de train, comme un enfant turbulent, énervant passager en passant, et soi dit en passant, qui à moi me plaisait beaucoup, les allées de train ou l’on court à contre sens en marchant aussi sur quelques pieds qui se replient avec agacement, et, allongé sur la banquette je regardais la tête à l’envers le haut des arbres couchés sur le ciel, celui que je ne regarde plus de la même manière aujourd’hui qu’hier, parce qu’entre les deux, j’ai grandi, alors que je m’étais promis de ne pas le faire trop vite, " vite dit " me dit la petite fille qui, calmée me regarde avec attention, comme si elle entendait ce que se racontaient mes yeux dans le vide, parce qu’ils sont vides mes yeux, ni tristes, ni contents, ici et maintenant.

 

- Moi seul perdu– Mikaël Muraz

Tout le monde. A temps perdu. Un peu d'argent. Les gens. Moi seul me plaint. A temps partiel. Les gens partis, par-là. Tout le monde se plaint. Tant qu'on se plaît. A temps partiel. Moi seul parti. Les gens perdus. L'argent par-ci. Les gens par là. L'argent perdu. Tout le monde parti. Moi seul perdu.

 

Quand 3 – La course – Camille

Quand, un matin, on est décidé à prendre l’air, qu’on se l’annonce avec la légèreté nécessaire, que le temps ne pouvait pas mieux tomber, qu’on ne peut faire autrement que d’y aller pour le bol d’air, quand bien décidé à combattre le manque de souffle comme le manque de motivation, on enfile sans peine mais obstiné tout de même, les " chaussures de sport " prévu à cet effet, pour être confort et ne manquer de rien, quand bien même on se retrouve dans la ruelle descendante, celle qui donne sur la plaine, quand on a eu le temps de tourner la clef , descendre les escaliers en courant, sautant avec élan les quelques marches de la fin, que jusqu’ici, dans la ruelle descendante, c’est assez facile finalement, quand on se met en route et qu’on s’élance, l’allure élastique comme on peut, qu’on s’efforce de ne pas entendre les pieds battants l’asphalte comme le cœur la chamade, qu’on s’obstine à regarder le paysage qui défile lentement et les odeurs, pourtant si douces, quand alors malgré tout la moitié du parcours s’annonce de manière prononcée dans la tête inquiète d’échouer encore, et que les pieds décidément battant l’asphalte comme le cœur la chamade se calment sur le bitume, alors on est arrêté et, déjà on se promet de recommencer à courir, le parcours en entier la prochaine fois.

 

– la migraine – Fabienne

Précipitation. Stress. Courir. Overdose. Incapable de penser plus loin. Tendue. Toujours tendue. Là, mais devant. Ici, mais plus loin. Rageuse. Tout se mélange, en moi, à l’extérieur de moi, tout ne forme plus qu’une simple boule d’éclairs et de nerfs. Je sens ma nuque se raidir, je le subis je n’y peux rien. Je respire, la douleur s’accentue, point insignifiant dans le creux de la nuque, qui malgré moi, mes efforts trop vains, se faufile en pointillés jusqu’au fond de ma tempe. J’assiste, désarmée, à la mise en place d’un état de douleur qui me dépasse. Impression d’être à la fois victime et bourreau. Impuissante et coupable. Je deviens taciturne et muette. Toute mon attention se concentre sur ce point que je cherche à oublier. Je suis une naine au milieu des géants, cassée au milieu des gens, infirme parmi les vivants.

Ne pas craquer. Je ne veux pas craquer. Pas le montrer. Pas être vue en train de craquer. Pas être montrée. Oublier, me détendre. La douleur tape, faible puis insistante, fragile et de nouveau exigeante.

Je voudrais me dédoubler. La laisser, pendant que je vis, à côté. Mais je m’accroche. Ne pas craquer, c’est s’accrocher. Je m’accroche à cette plainte, à la fois sourde et criante. Je m’y accroche en voulant la quitter, je m’y cramponne au lieu de la lâcher.

L’expérience est à chaque fois la même. Un cercle qui se répète le même qui m’enserre, s’empare de ma tête, se tord autour, tourne, tape, frappe et continue de tourner.

Sois patiente… Pourquoi…La patience, n’est ce pas seulement le masque trompeur de l’impuissance ? L’apparence fanfaronne du désarroi… Arrêter de réfléchir, juste arrêter laisser tomber ma tête, le monde et le temps qui vont avec. Arrêter de réfléchir, et pourquoi, et comment, et quelle bribe de mon histoire cogne en moi et tourne en rond, s’écrase sur les murs de mes tempes, quelle mémoire enfouie sous les sédiments des différents rôles de ma vie ?

Je vais abandonner, je vais lâcher. Terrienne en détresse. Tout s’emmêle, se démêle et de nouveau s’emmêle. Je n’ai plus d’énergie.

 

– Des boutons nacrés ou juste dire au revoir– Sylvie

 Dés qu’il faut lui dire au revoir, elle nous agrippe du regard, elle nous empoigne l’avant-bras, elle nous tient.

Depuis qu’il faut décliner son identité à chaque visite, elle ne change pas : sa permanente a la couleur du ciel, son chemisier à des boutons nacrés, ses peines sont visibles sous la peau de ses mains.

Quand on s’approche pour déposer un baiser sur sa joue pour sentir une fois encore la douceur de sa pommette, elle se laisse faire, inquiète.

Quand on lui conte les aventures du dernier né pour voir une fois encore ses yeux pétillés, elle écoute, le regard fuyant.

Progressivement on s’apprivoise, on abandonne la tension des retrouvailles, on attrape les palpitations du plaisir d’être ensemble, on la dorlote pour qu’elle se calme. Mais elle s’agite, elle grelotte, elle dit qu’elle n’est pas bien, qu’elle ne veut pas être là, qu’elle ne sait pas qui nous sommes.

Elle n’est pas une morte, c’est une femme de 83 ans qui a peur de la vie.

 

Quand 4 – une longue phrase d’amour – Mikaël

Quand on accompagne à la gare quelqu'un dont on va se trouver séparé pendant plusieurs semaines, quand on sait que toute relation ne tient qu'à un fil, quand on le voit passer sa porte emportant son accent et sa brosse à dents, quand on attend au milieu des valises de voir apparaître le numéro de la voie, et quand on essaie, en vain, d'être drôle pour cacher sa tristesse, qu'on propose d'acheter un sandwich pour partager le dernier repas, qu'on voudrait dire en trois minutes ce qu'on n'a pas su dire en trois mois, quand on arrête enfin de parler pour juste se regarder dans les yeux, quand, finalement, on se sépare avec un sourire en se touchant le bout des doigts, quand on part sans se retourner pour abréger l'instant qui n'en finit pas, quand on aimerait avoir le courage de revenir en courant, de l'embrasser sur la bouche et de disparaître, mais quand on part juste en s'interdisant de se retourner, en pensant qu'on n'aurait pas cru avoir le cœur aussi serré - alors, peut-être, on est amoureux.

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