Margueritte D.

Publié le par Les Machines

L'atelier de décembre des Machines

de Sylvie Jeuffroy

 

« Vous évoquez la chaleur des pays asiatiques, que vous semblez affectionner, qu’auriez-vous à dire de la neige ? »

« Le froid m’a piqué les joues, j’avais seize ans. Comme une gifle maternelle, mon premier hiver en France a été une blessure. Les boules molletonnées dans lesquelles les couturières enfoncent des aiguilles c’est le froid. Il perçait mon visage. Je pleurais sans doute. Mes larmes me faisaient mal. Mes lèvres craquaient. Mes doigts me brûlaient. Impossible de ressentir la moiteur de l’Indochine. Ce froid m’enfermait. Paralysée. Eteinte. Close. Je cherchais cette sueur qui fait briller le creux des mains, cette humidité de l’air qui fait ressortir les reliefs des peaux des corps. Retrouver cette force qui s’anime sous les tempes imbibées de désir. Je n’ai plus jamais senti une telle chaleur. La neige est douce, elle caresse en tombant, elle effleure souvent. Elle m’apaise. Ai-je besoin de cela. Les palpitations de mon cœur,  autrefois  violentes,  se sont calmées. La neige et l’âge. C’était une vision poétique. J’avais vécu l’Indochine en vivant. Je vivais la France en m’enroulant dans un châle sans rien sortir de moi. Cette neige qui tombait sans bruit, pourquoi ? La pluie est bruyante, elle se manifeste. Je me souviens de mes ballerines de cuire gondolées par l’eau des moussons. Quel plaisir de les porter à la main pour marcher nus pieds dans les rues. Le froid d’ici fige les élans de désir. Neige est solitude. J’ai été seule pendant longtemps face aux hivers. Je ne les aime toujours pas. »

 

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